Les somptueux tourbillons de Karman

Régulièrement, d’étonnantes photos prises depuis l’espace montrent des tourbillons de nuages très particuliers au large des Canaries. Il s’agit des allées de tourbillons de Karman, une structure de nuages parfaitement reconnaissable qui se produit notamment au-dessus des îles.

Au large de l’Afrique, l’océan règne en maître et le vent parcourt sans encombre des milliers de kilomètres. Mais lorsqu’un obstacle vient perturber sa course, des perturbations localisées apparaissent. Ainsi, sur les 7 îles des Canaries, les nuages s’amoncellent sur certaines faces des îles les plus élevées et génèrent des tourbillons en empêchant les courants aériens de se diffuser sans encombre.

Les tourbillons de turbulence sont bien connus des météorologues mais on les retrouve aussi dans n’importe quel milieu se comportant comme un fluide (les océans par exemple). Leur explication est connue depuis longtemps. Dans une situation non perturbée, les vents se déplacent de façon homogène et constante. Mais lorsqu’un obstacle survient (comme une île suffisamment élevée) au milieu de l’Atlantique), il faut le contourner. En aval, on se retrouve donc avec un courant nul juste derrière l’obstacle. Le vent génère un contre-courant derrière l’obstacle qui se matérialise en turbulences et tourbillons.

Mais ce n’est pas tout. Lorsque l’obstacle n’est pas aérodynamique (ce qui est encore le cas pour une île volcanique comme celles présentes aux Canaries), les tourbillons générés derrière l’obstacle sont instables et se détachent de celui-ci. On se retrouve alors avec des tourbillons emportés au loin par le vent et dessinant une traînée de tourbillons alternés.

Ces tourbillons nommés « allée de tourbillon de Karman » se produisent seulement lorsque certaines conditions sont réunies : taille de l’obstacle, masse du vent, vitesse, viscosité… Tout cela a été théorisé avec les 6 régimes du cylindre de Reynolds par le physicien hongrois Theodore von Karman, spécialiste de la physique des fluides. Le physicien a écrit dans son autobiographie que sa découverte lui a été inspirée après avoir regardé une peinture italienne montrant Saint-Christophe traversant les eaux et générant des vortex dans son sillage.

Derrière les explications mathématiques et la mécanique des fluides datant de la fin du 19ème siècle, on sait aujourd’hui mettre sous forme d’équation la transition entre un état laminaire (c’est-à-dire lorsque le vent s’écoule sans contrainte) et un état turbulent.

Ces tourbillons ne sont pas visibles depuis le sol ou depuis la mer, car ils s’étendent sur des distances trop importantes. En fonction des conditions météorologiques, ils sont plus ou moins bien formés et on les voit derrière les îles des Canaries les plus élevées lorsque les alizés soufflent. Le Teide de Tenerife, Grande Canarie et La Palma sont les candidats parfaits pour ces tourbillons.

Depuis que les satellites météo publient leurs clichés, on en voit apparaître régulièrement sur nos écrans. Dans l’image d’en-tête, c’est un des satellites européens Copernicus Sentinel-3 qui a capturé les tourbillons de Karman le 19 avril 2021. Le cliché a été saisi à une altitude d’environ 800km par ce satellite dédié à l’étude des océans : vague, vent, température, rayonnement.

Ces beaux tourbillons sont sans incidence sur l’océan. Ils se produisent aussi dans d’autres contextes qui nous sont plus proches. Ainsi, les torsades sur les antennes de véhicule, les aspérités sur les ailes d’avion, les alvéoles des balles de golf ou les structures hélicoïdales sur certaines cheminées ont pour but de diminuer les vibrations et les vortex de Karman. L’objectif est de limiter les nuisances sonores, améliorer la sécurité et l’efficacité de l’écoulement des fluides.

Publié / actualisé par Christophe
Le 11 juin 2024